Machines des idées / Filles nées sans mères
December 1, 2013 8:58 am- Francis Picabia, “Poèmes et dessins de la fille née sans mère“, Lausanne, Imprimeries réunies, 1918, p.71 + “Fille née sans mère”, peinture, 1916-1917, via Pierre Bastien à Berlin.
Le 1er novembre, au colloque “Interstices / Aesthetic spaces of expérience in the arts” organisé par ICI Berlin Institute for Cultural Enquiry, j’ai pu assister a une très intéressante communication d’Helga de la Motte-Haber, psychologue et musicologue allemande née en 1938, sur la perception et les impressions d’espaces convoyées par l’art et la musique: “Space impressions conveyed by music and sound art : mind expanding illusion”.
En repartant de la peinture (Yves Klein, Malevich, Rothko) et des installations de James Turrell qui proposent pour certaines un espace infini comme celui accessible aux cosmonautes ou aux voyageurs de l’Arctique, elle aborde “le lointain” chez Debussy et les notations d’espaces, véritables architectures intégrées, dans les oeuvres de Varèse. Dans les oeuvres les plus récentes, elle évoquera l’installation “Cosmiconkascade” de Tim Otto-Roth (2009), composée de 16 capteurs de rayons, destinée à représenter l’activité énergétique permanente qui nous entoure pour terminer en ouvrant sur la question du soleil et de la lumière.
Au coeur de son intervention, la question de l’accès à la quatrième dimension, celle de l’espace et du temps dans l’art, par-delà ce que nos sens nous permettent, est centrale. Alors qu’Helga de La Motte-Haber aborde l’imagination comme producteur, agrégateur de cette dimension là, mais également la spiritualité (notamment chez Klein et Turrell), se pose à moi la question de l’abstraction, de la capacité abstractive, comme voie d’accès à ce que seule l’intuition nous permet jusqu’alors d’approcher, au-delà des capacités de nos sens (le noumène, la chose en soi, le Ding an sich, ce qu’on voudra).
Cette question, je la tiens de Michel Carrouges dont j’ai enfin eu la chance de lire “Les machines célibataires” (Le Chêne, 1975), ce qu’il écrit sur le “Grand verre” de Duchamp (“De même qu’une ombre à deux dimensions est projetée par un objet à trois dimensions, de même un objet à trois dimensions est une projection d’une chose à quatre dimensions que nous ne voyons pas…”) et Pawlowksi (“La quatrième dimension, qui ne ressemble à aucune des autres, mais les englobe toutes et les domine, c’est le pouvoir d’abstraction de la conscience humaine, capable de tout dissocier et tout réinventer.”)
Aux nombreuses questions ouvertes par le livre de Carrouges, se superposait en moi en vague la belle expression de Jocelyn Benoist sur la subjectivité, et l’homme démiurge de son monde représenté : « dans la culture de l’affection et des pensées, dont l’expérience constitue la teneur du retour à soi, il ne faut voir que le ressac du monde, le retour à soi étant retour du monde à soi, non pas dans la clôture de ses jeux, mais dans le passage toujours de nouveau possible d’un de ses jeux à un autre. La “solitude” où je “me” trouve me reconduit vers les autres, vers l’expérience d’autres formes de la relation sociale, en dehors des codes établis. Le moi se noue et se dénoue, d’un code à un autre. L’échelle de ces variations est la subjectivité.» (Wikipedia).
Dans cette grande salle carrée couverte de parquet, d’où l’on voit les toits de Prenzlauer Berg et la nuit qui doucement les découpe, j’étais contente d’entendre et de rencontrer une copine de recherche si belle et élancée. Une femme ! qui recouvre désormais ma ville d’une lumière très douce. Hâte de la retrouver !
“Pierre Bastien fait partie des artistes que nous écoutons et que nous suivons depuis longtemps, et qui représentent des ouvertures à des scènes musicales et artistiques parallèles. Sa musique articulée autour de mélodies simples et de rythmiques émises par des structures mécaniques, véritables machines célibataires, peut paraître très nostalgique, mais pour moi elle va bien au-delà de cela. Elle représente une véritable synthèse de plusieurs langages artistiques qui vont de Marcel Duchamp et ses expériences kinétiques à l’écriture sous contrainte de Raymond Queneau, de l’Oulipo et de Raymond Roussel dont les gestes, les signatures singulières permettent d’accéder à une autre lecture du réel. La musique et la poïétique de Pierre Bastien invitent, selon moi, à une expérience autant esthétique que philosophique, et chacune de ses performances m’en donne, à chaque fois, une nouvelle lecture. C’est un concert que j’attends avec impatience.”
Nous travaillons actuellement à la constitution de Franz Buch (pour Französisches Buch), un cercle de lecteurs et d’idées à Berlin, de langue francophone.
L’idée est de former un circuit d’échanges et un foyer d’idées, ainsi qu’une bibliothèque et une librairie d’occasion en réseau avec des programmations, à des moments, de lectures et de conférences en plus de temps de rencontres réguliers.
Il s’agit aussi de faire ville autrement, par la création d’une communauté d’intérêts, ouverte à tous ceux qui le souhaitent ; de provoquer la rencontre plutôt que d’entretenir les grands libraires en ligne, et d’ouvrir un espace d’échanges qui ne soit ni institutionnel ni marchand. Le lancement est prévu pendant l’hiver, sous sa première forme.
Dans le cadre de sa communication, nous travaillons sur la réalisation d’une affiche qui reprendra une liste d’auteurs français ou d’expression française qui ont eu un grand impact sur notre pensée, notre manière d’envisager le monde.
Quels sont les auteurs français dont les lectures vous ont marqué, dont la pensée, l’imaginaire, ont eu un impact certain sur vous ?
Romanciers, philosophes, poètes, scientifiques, critiques, artistes…. l’essentiel étant qu’ils aient été publiés. Nous avons juste besoin des prénoms suivis des noms – une dizaine semble bien.
Nous travaillons, aussi, a un pendant de la liste en allemand (auteurs allemands ou d’expression allemande).
MOTEUR
“The Host and the Cloud” (2009-2010) est un film de Pierre Huyghe actuellement présenté dans le cadre de sa rétrospective au Musée National d’Art Moderne / Centre Pompidou, jusqu’au 6 janvier 2014. Pierre Huyghe est un artiste français né en 1962 reconnu internationalement.
Le film a été tourné au musée abandonné des Arts et Traditions Populaires de Paris au cours de trois journées de fêtes (Saint-Valentin, Halloween et 1er mai). Lors de ces journées, l’artiste active le lieu en rassemblant comédiens, caméras et amis et en ouvrant une situation où “tout ce qui a lieu est réel, rien n’est joué”, adjoignant le dispositif de services d’hypnotiseurs, magiciens et autres activateurs d’états de conscience modifiée.
C’est un film d’une durée d’1h30, présenté ici par Emmanuelle Lequeux pour le magazine 02.
BOBINE
Nous ne reprendrons pas le film : nous n’en avons vu qu’un peu moins d’une heure, ainsi que les photographies et le petit texte du catalogue feuilleté chez Séverine et Sammy, fortement impressionné par l’exposition et qui me l’a recommandée.
Nous pouvons, en revanche, reprendre son effet et l’observer afin de voir comment il forme circuit en nous, et quelles nouvelles branches en bifurquent.
INTENSITE
Le film est d’une intensité folle : constitué de situations hétérogènes, fantasmatiques, le lieu ouvert par Pierre Huyghe m’a bondi dessus comme celui de la pulsion et de l’inconscient.
En mettant en espace, en situation, des personnages, des fictions et des narrations capables de générer des comportements dépouillés, par couches, de leurs représentations ; en mettant comédiens et public dans un lieu dont il écrit la potentialité en y parsemant des éléments de situation ; en extrayant la représentation de la frontalité et en la proposant en immersion, dans un espace dans lequel les tracés sont libres et mettent, du coup, notre armure morale en vertige, Pierre Huyghe signe à la fois un lieu absolu et une oeuvre d’art totale dont seul un film peut présenter une représentation communicable de façon rétrospective.
“The Host and the Cloud”, comme dispositif, ouvre une brèche dans le réel, un temps dilaté cristallisé dans un lieu et casse autant qu’il active l’invention de Morel (1). Il ouvre une porte d’exploration vers les fantasmagories individuelles et collectives autant qu’il figure l’absurdité du réel (2).
C’est une œuvre très forte.
TENSION
Le film a agit sur moi comme une injection à retardement, m’assaillant, dès le lendemain, à plusieurs instants, par un circuit ouvert par la belle librairie La Cartouche à Jourdain, et l’achat de “La transe et l’hypnose”, dirigé par Didier Michaux chez Imago, “De la projection” de Sami-Ali et les “Rudiments païens” de Lyotard.
Puis, plus tard dans la nuit, sous les toits et en compagnie, être de nouveau assaillie par les questions ouvertes par cette proposition et celle même de la pulsion, la façon dont le dispositif de Pierre Huyghe est tout à fait à l’opposé de celui de l’Encyclopédie de Jean-Yves Jouannais. Penser à Twin Peaks, sa loge blanche et sa loge noire, à la façon dont David Lynch, au-delà de ses procédés narratifs, marque un espace physique, dans la forêt, pour l’accès à la pulsion et à l’ombre et dans lequel Agent Cooper doit pivoter pour avoir accès à l’inconscient de la communauté. A la fête, à la faille, à la vrille, à la potentialité, et à Teddy Adorno qui n’aurait pas assez dansé. A tout ce qui ne s’épèle pas et qui, ce soir, explosait en moi.
La tête me tournait franchement : il fallait que j’aille me coucher.
CONDENSATION
Ouvrir doucement le lieu de mon sommeil, un large salon sous verrière très haut de plafond dont deux lampes éclairent l’espace de façon verticale depuis le haut de la pièce, formant des zones d’ombre comme des zones blanches, de biais.
De grandes plantes, et tout une batterie d’ustensiles, de pots et de réserves d’une cuisine déménagée, remodèlent l’ombre, en la redépliant en zones de luminosités, de réflexions différentes.
Mon matelas est au fond, orienté vers un cadre duquel je m’imagine pouvoir voir la lune. “Il y a du vivant dans cette pièce” me dis-je, en pensant à l’ombre, aux plantes et à leur invisible agitation ; à la lune que je croiserai peut être ; à la légère humidité de mes draps lorsque je m’y glisse. “Il faut que j’éteigne”.
RESISTANCE
Travailler, dès le matin, montre en main, à prendre des notes depuis le catalogue ouvert, au petit-déjeuner ; reprendre les schémas, se noter “Bataille”, et constater, en me douchant, en m’habillant très vite, que non seulement l’intellect mais aussi les automatismes m’ont rapidement rattrapée.
De là, m’engloutir dans la ville, dans son flot d’inconfortables contrariétés. Paris est une ville qui donne peu d’espace à ses habitants : tout m’y paraît toujours un peu plus étroit à chaque fois. Est-ce là le destin de tous ceux qui l’ont quittée ?
COURT-CIRCUIT
Au café, deux filles. Elles parlent de lieux, d’empathie, de transe, de rythme, de rêves, de ritournelles ; d’objets que l’on tourne dans ses mains comme support de la pensée et de ceux qui, comme des fusibles, permettent à un circuit d’être ouvert comme fermé, régulé (3). Je quitte Raphaëlle très heureuse de l’heure que nous avons passée ensemble, et de la qualité de l’échange qui est en train de se tresser.
ONDE
Au dernier rang de l’avion qui me ramène à Berlin, je lis, ensommeillée, le premier article de “La transe et l’hypnose” sur les possédés somnambuliques, les chamans et les hallucinés.
La charge du texte me pousse, a un moment, a interrompre ma lecture et à me tourner vers le visage de mon voisin, un jeune allemand qui, en ouvrant les yeux, étend vers moi légèrement ses doigts d’un sifflement, tandis que mes mains font vers lui le même mouvement.
Dans l’avion, le ciel rose, nous vivons un instant flottant : mon retour à Berlin se fera le coeur léger, de ce rose qui, de l’art et du circuit, aura été.
(1) Adolfo Bioy Casares, “L’invention de Morel”, 10/18. Dans le roman de l’argentin Bioy Casares, l’invention de Morel est un machine célibataire, sans circuit et activée par la marée, qui recouvre une île de projections de personnages. Ce livre, préfacé par Borges et qui aurait influencé le film “L’année dernière à Marienbad” comme la série “Lost”, est un conte philosophique portant sur les notions de projection, de représentation, du réel et de la fiction.
(2) L’ambition de l’œuvre pour Pierre Huyghe serait d’échapper à « ces effrayants ready-made d’imaginaire dans lesquels on se love, comme la religion, ou la culture » in Emmanuelle Lequeux, “The Host and the Cloud”, revue 02.
(3) “Le fusible un organe de sécurité dont le rôle est d’ouvrir un circuit électrique lorsque le courant électrique dans celui-ci atteint une valeur d’intensité dangereuse (ou plus généralement une valeur d’intensité donnée) pendant un temps déterminé, ramenant ainsi l’intensité de ce courant à zéro.” Wikipedia
UN GARCON
Jean-Yves Jouannais est né à Montluçon en 1964. Etudiant en lettres à Poitiers, il fait partie de la société Perpendiculaire. Arrivé à Paris, il collabore à Art Press, en devient le rédacteur en chef, enseigne à Paris VIII et travaille pour une émission sur Arte tout en effectuant des recherches et en publiant des livres sur les artistes sans œuvres, le kitsch, le fiasco et l’idiotie. Il a également été le commissaire de plusieurs expositions.
Depuis 2008, il se concentre sur l’Encyclopédie des guerres, un projet sans artefact ni terme ni même de projet de publication, ayant pour objet la guerre et la littérature, et pour sujet lui même.
Il en présente, chaque mois, une entrée en public au Centre Georges Pompidou à Paris et à la Comédie de Reims. La prochaine séance parisienne aura lieu demain jeudi 17 octobre, et présentera l’entrée « Ignition ».
Elle est en entrée libre, et nous y serons / informations.
UN TRAVAIL
La boîte Jean-Yves Jouannais est un travail en cours sur l’expérience que nous pouvons avoir de certaines visions d’artistes, la façon dont elles entrent en résonance avec notre inénonçable, et active comme un champ magnétique aux échanges très rapides entre nous et la subjectivité de l’artiste, telle que nous nous la représentons, via le corpus de son œuvre et de ses déclarations.
La dynamique projective en jeu est constituée d’aller-retours de distances, d’intensités, différentes où, à chaque boucle, un constituant de notre personne bouge légèrement. De ce flux, de ce calage, certaines de nos intuitions deviennent moins diffuses, nous procurant de la force pour notre énonciation, l’établissement de notre propre paradigme.
Il est souvent le même à l’œuvre en amour – nous le pensons, en tous cas, avec mon amie Séverine. Roland Barthes aussi, semble-t-il (1).
UNE FORME
De cet ouvrage qui se passe et qui se fait, le texte – sous sa forme linéaire – me résiste. Présenté en critique de l’oeuvre de Jouannais, il échouerait par l’insincérité même de sa prise de position : l’objectivité sur l’œuvre, comme ce qui constitue ce que nous y projetons, est inatteignable. La fiction, elle, gonflerait la projection.
De là s’engage une lutte pour donner une forme propre, au plus près de la pureté des lignes de force qui nous traversent. Tous les cadres d’angles – points de vue, fonctions, intérêts – doivent être abandonnés et le cœur à nu arriver, dans sa plus grande possible vérité.
Dès lors, j’opte pour un objet et un texte, en cartes, travaillés avec le soin d’une œuvre, qui, si elle existe, n’est utilisée et liée que par moi, par la teneur que je lui donne dans son articulation même avec ma vie : une écriture en cartes et en boîte, donc, que mes mains puissent prendre, déplier, refermer – un lieu pour la pensée qu’à ouvert en moi Jean-Yves Jouannais (2).
UN POINT D’APPUI
Me poser la question de ce que représentent pour moi la pratique et la pensée de cet auteur, m’efforcer d’en extraire, étaler et analyser les tenants de leur influence, de la façon dont ils s’écrivent en moi, m’ouvre a une expérience proche de celle décrite par Borges dans « L’écriture du Dieu » dans “L’Aleph” (1952, page 86). Dans ce texte, un prisonnier accède au mystère du monde par la lecture, en faisceaux, de la peau d’un jaguar qui jouxte sa cellule.
Entrer dans la couture d’une œuvre, d’un énoncé, d’un sujet, s’efforcer d’en dilater puis d’en réduire les signes afin d’en reconstituer l’architecture invisible qui puisse lui permettre d’être par nous parcourue, est un mouvement qui pour moi dépasse l’esthétique et relève de la poïétique : l’œuvre ouvre un monde que nous créons et qui nous créé.
La pratique de Jean-Yves Jouannais et celles qu’elle ouvre, se déploient pour moi dans cet espace, dans ces faisceaux là (3).
UN IMPACT
Rarement un auteur aura eu impact aussi diffusé sur moi, au fil des années. De ma lecture d’« Artistes dans oeuvres » dès sa sortie à l’actuel dispositif de l’Encyclopédie, le parcours et la pensée de Jean-Yves Jouannais m’impressionnent autant qu’ils m’accompagnent.
Une recherche véritable, me semble-t-il, les anime, ainsi qu’une éthique qui prend la forme d’une grande exigence intellectuelle, suivant son propre paradigme.
Son œuvre, dans la forme à laquelle elle est arrivée, est puissante : elle est à la fois un geste qui puisse permettre son devenir-personnage, mais aussi de couvrir ses besoins plutôt que de courir ses désirs (4). Elle ne s’active qu’avec la vie, et invite à mieux vivre la nôtre.
La connaître enfin en performance, en parole, me procure une grande joie. Hâte d’être là !
NOTES
(1) Roland Barthes, “Fragments d’un discours amoureux”, Tel Quel / Seuil, 1977.
(2) En tête, la très belle dédicace d’ouverture de “Sens Unique” de Walter Benjamin : “Cette rue s’appelle RUE ASJA LACIS du nom de celle qui en fut l’ingénieur et la perça dans l’auteur”. Walter Benjamin, “Sens unique” précédé de “Une enfance berlinoise”, traduit de l’allemand par Jean Lacoste, édition revue, Maurice Nadeau, 2001, p. 137.
(3) « Une encyclopédie des guerres en elle-même n’a pas plus d’intérêt qu’un autre projet d’écriture, si ce n’est qu’ici, c’est une entreprise littéraire qui invente son auteur. Je suis littéralement inventé par cette écriture, et ça je le vérifie concrètement. ». Jean-Yves Jouannais, Entretien avec Jean-Charles Masséra, in “It’s Too Late to Say Littérature”, revue AH ! #10, éd. Cercle d’art, 2010
(4) « Au final, il s’agirait peut-être de trouver la solution pour continuer à jouir de la littérature en évitant de devenir écrivain. » Jean-Yves Jouannais, Entretien avec Jean-Charles Masséra, idem.
BIBLIOGRAPHIE
BONUS
“Le charme de l’étrange peut être ressenti aussi bien, par exemple, en regardant un lointain bleu qu’en regardant un paysage qui apparaîtrait dans le ciel. Il est permis de douter de l’obligation de ressentir un sentiment “déterminé” par ce que nous regardons. Une chose très familière est regardée parfois avec un sentiment de l’étrange et nous pouvons avoir un sentiment familier pour des choses dites mystérieuses; dans les deux possibilités se trouvent réunis soit un sentiment de l’étrange, la chose familière et nous-mêmes. Cela n’implique guère la “détermination” de nos sentiments ni que le peintre puisse décider quel sentiment un tableau devrait provoquer. (…) Le sentiment que nous éprouvons pendant que nous regardons un tableau n’est pas à distinguer du tableau ni de nous-mêmes. Le sentiment, le tableau et nous-mêmes sommes réunis en notre mystère.”
“Tout commence par un voyage mémorable : une automobile roulant à tombeau ouvert sur la route du Jura à Paris. Nous sommes en 1912. Dans cette voiture, se trouve Duchamp, en compagnie de Gabrielle Buffet, d’Apollinaire et de Picabia. De cette expérience cinétiquo-érotique où la puissance virginale de la Mariée (« l’automobiline, essence d’amour ») se conjugue avec le désir cylindré des célibataires (les « moteurs à explosion »), l’artiste tire l’exigence impérieuse d’une œuvre. Il faut en faire quelque chose. Cela le conduit au Grand verre, qu’il est juste d’aborder, dans un premier temps, comme la transposition plastique d’une expérience de pure vitesse. Voyage intensif, instantané et immobile, qui trouve son expression rigoureuse dans l’idée du déplacement invisible des formes dans un espace « sans orientation », mais à quatre dimensions (…) Il fallait que la ligne soit autre chose qu’un tracé, ou une trajectoire. Il fallait qu’elle fende pour ainsi dire l’espace lui-même. D’où l’idée de l’engendrer activement à partir d’une fiction d’espace, au lieu de se donner l’espace tout fait pour le sillonner en tous sens.”
Il existe des lieux spéciaux, uniques, qui offrent des expériences esthétiques et sensibles particulières. Dans ces espaces, nous nous projetons : par effet de réflexion, une poétique s’opère.
Ils peuvent être des jardins, des recoins, des passages, des architectures, des paysages comme des territoires. Ils n’existent parfois que dans l’imaginaire et la fiction, ou ne sont connus que d’un tout petit nombre.
Ces lieux résonnent : mis en circuit avec notre imaginaire, ils oeuvrent et provoquent l’intuition, offrant de nouvelles alvéoles d’expérimentation.
Ces lieux, ainsi que les espaces et les dynamiques d’individuation qu’ils ouvrent, sont les objets de la Collection Morel, une proposition sur les lieux, l’expérience sensible des lieux et l’espace de la pensée qui aura lieu à PointCulture Bruxelles, au mois de mai 2014.
Dans ce cadre, nous proposerons notamment une Bibliothèque des lieux uniques qui rassemblera des témoignages d’expériences de lieux. Les témoignages devront répondre à ces deux questions : Pourquoi ce lieu est-il unique ? Que s’est-il passé ?
Les participations doivent être sur format A4 recto simple, format portrait, et être accompagnées d’un titre. Elles peuvent comporter des images, comme être sur plusieurs feuillets, manuscrits ou tapuscrits, envoyés par messagerie ou par courrier. Elles doivent idéalement nous parvenir avant le 30 avril 2014, mais les dépôts resteront possibles après.
Collection Morel – contact@collection-morel.com
Association Disco-Babel, 24 avenue du Château, F-94300 Vincennes
Photo : Philippe Lebruman / Collection Morel
Collection Morel est un projet de Studio Walter