Marie-Pierre BONNIOL (née en 1978 à Marseille. Vit et travaille à Berlin)
Wasser (2021, 22’35)
Le travail de Marie-Pierre Bonniol donne forme à une singulière esthétique de l’énergie, prenant en charge ses dimensions physique, psychique et affective. Il intègre les dispositifs techniques par lesquels les énergies élémentaires sont non seulement exploitées à toutes fins utiles, mais aussi inscrites poétiquement dans nos paysages et nos existences (avec une prédilection, dans Wasser, pour les machines hydro-électriques). Ses créations prennent de nombreuses formes: films vidéo, images photographiques et vectorielles, installations, dispositifs littéraires et fictionnels. Malgré l’absence d’influence directe, le film-vidéo Wasser fait écho – de façon résolument contemporaine – au livre de Bachelard intitulé L’eau et les rêves (1941), où s’exprimaient les multiples états et métamorphoses de l’eau, en même temps que sa propension à jouer ou à composer avec les autres éléments (terre, air, feu). A travers le regard de Marie-Pierre Bonniol, ce dynamisme élémentaire se trouve à la fois mis en relief et transfiguré par son appropriation culturelle et, plus particulièrement, technique. Les cinq films composant l’œuvre reprennent en partie la topographie de l’île de L’Invention de Morel (roman d’Adolfo Bioy Casares paru en 1940) et s’inspirent de sa machine célibataire centrale, obsession assumée de l’artiste, figurée dans Wasser par une usine marémotrice fonctionnant à l’énergie auto-générée. L’artiste voit dans ce processus de conversion de la force motrice de l’eau en énergie physique et en puissance disponible une métaphore vive de l’activité artistique, qui requiert une canalisation et une mise une forme de nos affects les plus profonds, engageant une imagination dynamique autonome, suivant pour ainsi dire son propre cours. Le montage, toujours inattendu, et musicalement soutenu, fait alterner des plans longs donnant une impression de lenteur et de quiétude, avec des plans courts dont l’enchaînement syncopé, en cascade, suggère un bouillonnement créatif, à l’image d’un cours d’eau tour à tour calme ou tumultueux, selon la topographie des fonds. Comme l’exprime Jean-Jacques Wunenburger, « tout a sa place dans ce poème bachelardien, des barrages et tankers aux eaux saintes et thérapeutiques, pour restituer la polyphonie des eaux humanisées. »
Texte de Gilles Hieronimus pour l’exposition Bachelard contemporain, commissariat Jean-François Sanz, La Fab., Paris, 2023.
Textes associés de Gaston Bachelard :
« Dès qu’une expression poétique se révèle à la fois pure et dominante, on peut être sûr qu’elle a un rapport direct avec les sources matérielles élémentaires de la langue. […] La voyelle a est la voyelle de l’eau. Elle commande aqua, apa, wasser. C’est le phonème de la création par l’eau. L’a marque une matière première. C’est la lettre initiale du poème universel. » – L’eau et les rêves (1941).
« L’eau nous aide, par sa substance fraîche et jeune, à nous sentir énergiques. Dans le chapitre consacré à l’eau violente, nous verrons que l’eau peut multiplier ses leçons d’énergie. Mais, dès maintenant, on doit se rendre compte que l’hydrothérapie n’est pas uniquement périphérique. Elle a une composante centrale. Elle éveille les centres nerveux. Elle a une composante morale. Elle éveille l’homme à la vie énergique. » – L’eau et les rêves (1941).
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