February 28, 2016 9:26 pm
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Je rerentre dans mes appartements et ralentis Studio Walter pour un temps, afin d’organiser le portfolio de l’exposition et ses suites. Mes aventures avec Pierre me mèneront pour leur part bientôt à Moscou, Mexico, Lunéville (où on retrouvera Eduardo Berti de l’Oulipo au festival Facto), à Belgrade, en Suisse, en Angleterre et en Chine. Aussi : Constance Legeay, si essentielle à l’exposition des Machines célibataires pour l’avoir menée à la lumière, rejoint l’atelier SW. Bientôt des nouvelles !
Revue de presse des Machines célibataires :
Collection Morel “Les machines célibataires”, jusqu’au 13 mars 2016, le lieu unique, Nantes
December 28, 2013 9:37 am
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Enfin lu, entre les repas et pendant les siestes, “Bartleby et compagnie” d’Enrique Vila-Matas, le pendant espagnol d’“Artistes sans oeuvres” de Jean-Yves Jouannais sur les agraphiques et les écrivains du refus, en attendant de me procurer l’“Abrégé d’histoire de littérature portative” dont Marion me dit le plus grand bien.
Commencer, dans la foulée, la lecture des “Ecrits timides sur le visible” de Gilbert Lascault (Le Félin, 2008, en reprise d’un 10/18 old school) m’invite à proposer au Club des Barteblys énoncé par Vila-Matas un poème de Raymond Roussel, “La vue”, pas exactement le plus connu de ses textes, et l’interprétation que Gilbert Lascault en fait. Roussel y décrit longuement “la vue enchâssée au fond du porte-plume”, minuscule photographie “mise dans une boule de verre”, le stylo porté à l’horizontale. Lascault écrit : “Regarder la vue, c’est s’interdire d’écrire, au moins pendant que l’on voit. L’écrivain est ici le contraire du peintre et surtout du photographe, dont les regards se continuent immédiatement en enregistrements. L’écrivain doit attendre pour décrire. Le texte de Roussel met en scène ce que Jacques Derrida explicitera. La description constitue un retard par rapport à la vision de la vue. Celui qui, l’œil gauche fermé, tient avec trois doigts un porte-plume à peu près à l’horizontale, celui-là ne peut pas en même temps écrire. Pour lui, la vue représente un dedans, un intérieur. Elle est le dedans de l’outil à écrire ; elle est enchâssée. Elle est également le dedans du texte qui reste futur tant que le voyeur la regarde. Interne à l’écriture de plusieurs façons, elle devient, par cette intériorité même, un des obstacles à l’acte d’écrire. Elle doit fasciner pour donner le désir d’en maintenir une trace. Mais une trop longue fascination par la vue immobilise l’oeil et paralyse la main ; elle suspend l’écriture comme mouvement.”
Vila-Matas, de son côté, cite dans son livre l’écrivain argentin Fogwill : “J’écris pour ne pas être écrit. J’ai longtemps vécu écrit, j’étais récit. Je suppose que j’écris pour écrire les autres, pour agir sur l’imagination, sur la révélation, sur la connaissance des autres. Peut-être sur le comportement littéraire des autres.”
Lire enfin “Bartleby et compagnie”, pousser mon étude sur Jean-Yves Jouannais mais aussi Gilbert Lascault, m’ont confortée dans l’intuition que l’image – entendue comme un impact construit et déconstruit par l’imaginaire – est probablement le vecteur le plus puissant de la pensée par la réserve infinie de sens qui, au contact d’autres images, peuvent en être dépliés. Chaque image est une graine à même de bousculer, de remodeler le réel. Les trois auteurs, à la manière de Borges, regroupent, recoupent et essaiment. Par les images ainsi mises en circulation, par la tension et la densité qu’elles donnent à nos imagiers, ces auteurs permettent la vectorisation de nouvelles possibilités d’échanges, de constitutions de communautés. On les dits érudits là où ils ne sont qu’élan, vers un être au monde pour soi et pour les autres qui soit davantage ciselé. La lecture, et les ouvrages qu’ils en font, sont pour moi le terreau de ce mouvement là.
En redonnant une dialectique à la littérature – lire ou écrire, voir ou enregistrer, imaginer ou matérialiser -, Vila-Matas et Jouannais rappellent son pouvoir extraordinaire sur nos vies, nos parcours comme nos circuits de pensée (expérience particulièrement à l’œuvre dans “L’Encyclopédie des guerres” de Jean-Yves Jouannais, d’une manière proche, même si distincte, de Gilles Deleuze dans l’Abécédaire, le dispositif proposé par Claire Parnet).
En isolant un faisceau de positions et de pratiques qui échappent au style, en distordant légèrement le champ de l’Histoire pour y superposer affect, mystère, poésie et beauté, en y insérant ou en affermissant personnages et fables, en étant – surtout – sincèrement présents à leurs oeuvres, ces deux auteurs m’impressionnent, mieux : m’encouragent et m’invitent, avec Gilbert Lascault et quelques autres, à me créer.
Imaginaire, fiction, mystère, beauté : à mon tour, j’arrive à la table et ferme pour quelques temps les volets. Le club, j’arrive ! J’amènerai, j’espère, ma meilleure contribution de tendresse. Je vous retrouve l’année prochaine à Paris, Berlin et Bruxelles. Meilleures fêtes, et très belle nouvelle année !
- Enrique Vila-Matas, “Bartleby et compagnie”, Christian Bourgois, 2002
- Gilbert Lascault, “Ecrits timides sur le visible”, Le Félin, 2008
- Jean-Yves Jouannais, “Artistes sans oeuvres”, Hazan, 1997
- Jean-Yves Jouannais, “L’encyclopédie des guerres” dans L’Atelier de la création, France Culture 2013. Exposition du 13 avril au 9 juin à la Villa Arson, Nice. Prochaines séances au Centre Pompidou, Paris : 23 janvier, 13 février, 13 mars et 10 avril 2014 – entrée libre.
- Egalement : René Passeron, André Scherb (“La fable et le protocole”, L’Harmattan, 2013), Maurice Merleau-Ponty, Richard Brautigan (“Un privé à Babylone”, 10/18, 1991)
- Images : documentation Studio Walter, 2013