Tag Archive: Le nom de la rose

January 7, 2015 10:29 pm Published by

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Ce mercredi me laisse comme suspendue. Le cœur, cet après-midi, n’était à rien : comment créer, modeler, interagir – être en économie, au travail et en élan – alors que des actes si inhumains, dans un contexte si proche (socialement, géographiquement, affectivement) du mien se sont passés ? Aujourd’hui, en plein Paris, s’est déroulé un assassinat de groupe à armes de guerre, suivi d’une tuerie dans la fuite des assaillants. Cette attaque s’est passée dans la salle de rédaction d’un journal. Ses cibles étaient des journalistes et des artistes – des auteurs de bande-dessinée. Que s’est-il donc passé ? Quel mouvement peut faire aboutir à cela ?

Alors que l’Histoire et le rire sont deux notions sur lesquelles je commençais parallèlement à travailler, les évènements de cet après-midi l’ont mis dans une étrange croisée où la capacité de légèreté, de détachement, a été mise à sang. Une image, cet après-midi, m’a habitée tout autant que le mot barbarie sur mes lèvres serrées : celle du livre sur le rire d’Aristote dans « Le nom de la rose » et du poison déposé sur ses pages pour en interdire l’accès. Le rire allège tout, permet la distance et le détachement. Attaquer de façon si brutale, si sanglante, un groupe de personnes ayant mis leur sensibilité au service de cette interprétation du monde est un acte qui dépasse mon entendement.

Mes recherches m’ont amenée – ce n’en était pas l’objectif – à devenir croyante. Petit à petit se sont établies chez moi des zones de sacré, des espaces symboliques qui relient tant de choses qu’il me devient difficile de les imaginer entachés. Pourtant, je crois au rôle primordial que tient Charlie Hebdo dans l’équilibre du paysage informationnel français, à la nécessité de l’irrévérence, de sa possibilité.

Philippe Val, ancien directeur de la publication et de la rédaction de Charlie Hebdo, déclarait en fin d’après-midi à la radio que toute une façon de parler, d’écrire, de penser, de dessiner, d’expérimenter avait été cet après-midi exterminée. L’intuition de l’Histoire est aujourd’hui extrêmement forte pour beaucoup d’entre nous, démunis intellectuellement à pouvoir totalement et clairement envisager les changements de paradigmes que ces actes montreront, dans le futur, avoir provoqué.

Le rire, Aristote, les douze personnes mortes, assassinées : ce soir, la prise de pensée, d’existence et d’écriture m’apparaissent plus que jamais comme nos armes de combat. Que l’attaque que l’esprit à subi aujourd’hui nous donne plus que jamais la force d’énoncer ce que l’intelligence et la sensibilité nous dit du monde, et du supplément de beauté que nous pouvons y amener. D’autres façons de le dire, de le lire et de l’expérimenter.