August 10, 2014 10:00 am
Published by MPB
« La puissance de l’art commence là où s’arrêtent les mots » : à l’occasion de Saint-Amour (9 août) et de la Superlune (10 août), moment où la lune est au plus proche de la terre, Studio Walter, un moment, s’est penché sur la question de l’ineffable, ce qui, tout en ayant corps en nous, résiste à toute transformation en mots. Bordé par ce que certains appellent le seuil du jardin (André Hardellet) ou encore le trait métaphysique, l’ineffable, comme surface de sensibilité pure, demande un franchissement. Si elles n’ont pas pris lieu cette année, les Nuits de la pleine lune proposaient d’ouvrir, le temps de deux soirées d’été, des espaces dans lesquels les mots se dérobent pour devenir présence, son, lumière et intensité, avec récitals aphoniques et orchestre de papier. C’était ce week-end et existe, quand même, dans sa virtualité.
- Superlune du 10 août 2014, heure de phase de lune 18h09, périgée 17h44.
- Société Perpendiculaire, « Bureau des Idées Non-Réalisées (BINR) » in “Rapport d’activité 1985-2000”, Images Modernes, 2002.
- Merci à Julie / RÊVE pour la pensée.
May 30, 2014 10:59 am
Published by MPB
Alors que l’écriture d’un texte sur un artiste, son œuvre et mon rapport à eux me résiste, je suis aujourd’hui en réflexion sur l’obsession, la façon dont elle nous habite et ne serait, selon Vila-Matas et Jouannais, qu’une idée dont la forme n’a pas encore été trouvée. Quel est son lien avec l’ineffable et la totalité ? Quelle est la nature de ce qui la compose ? Et, surtout, comment la dépasser ?
Écrire, créer, lorsque l’on a en ligne un point du jour plus grand que les objets, les images isolées, qui peuvent de façon flottante nous constituer, est un mouvement. Les petites œuvres sont dégagées au profit de la grande, celle qui porte et déroule en elle la possibilité de relier tout ce que nous sommes au moment même où nous l’envisageons. L’œuvre devient alors une décomposition, avant de pouvoir être recomposée : entre l’ineffable et le chaos d’intuitions, de bouts d’idées, de phrases qui nous habitent ; la tension du dispositif à trouver puis son déroulement, lorsque les polarités qui pourraient nous bloquer sont mises en circuit et agrégées ; et enfin le lieu depuis lequel écrire, élancer sa pensée, qu’il soit celui où nous nous trouvons, notre position, ou celui, primitif, qui forme la scène première, depuis lequel l’histoire en nous peut commencer à s’élancer.
Cette articulation ne peut se mouvoir que dans la dilatation et la réduction, une transformation d’état qui, si je suis dans son mouvement, depuis plusieurs jours me laisse sans bords. D’où parler ? Depuis la hauteur ou l’intérieur ? Depuis l’ineffable de l’autre, de l’œuvre ou du mien ? Depuis l’objectivité de l’œuvre ou depuis son rapport à moi, la façon dont en moi un circuit s’élabore avec elle ? Comment partager une vérité de l’art qui, nous le sentons, nous traverse depuis un point de vue qui soit à la fois interne et externe, où l’invisible se superpose au visible, tout en impliquant un autre que soi – l’artiste vivant, son œuvre, la légitimation et le discours que voulons leur offrir – dans le texte ? Comment concilier ce qui, dans notre regard, notre perception, nous semble inconciliable et puisse faire trace et chemin dans l’espace public, comme accès à l’Histoire de l’artiste et son œuvre (1) et, de ce geste, espérer en réduire un mythe ?
La tension, ici, est maximale et si chaque jour, chaque lecture, chaque échange, chaque pensée que je peux avoir forme une superposition toujours plus dense et ouvre, à chaque fois, une possible forme sincère de ce qui pourrait être à faire, le dispositif, pour autant, toujours à moi se dérobe lorsqu’il s’agit de trouver, d’imaginer l’espace où la vérité de l’œuvre, de l’artiste et la mienne peuvent entièrement se rencontrer. C’est un mouvement où les cadres possibles d’édition, sont tous convoqués et aussi rapidement écartés afin que la parole soit libre, en sincérité, sans costume dans lequel se mouler. Nue, sans cadre, voulant accéder au plus vrai, l’obsession m’assiège, créant en moi un champ tendu dont je veux trouver les courroies, un dispositif singulier, propre à moi, à l’œuvre et à l’artiste, qui puisse aussi ouvrir la parole, l’écriture, de celui qui en moi a fait faille.
Tendue, donc, tandis que le texte, l’écriture, comme barriérage puis ouverture d’un champ, me résiste, espérant que de cette dilatation devenue étirement un espace, pouvant devenir livre, se forme. Tout est, je sais, déjà là en moi, orpheline seulement du premier chiffre de la séquence, du protocole qui l’ouvrira. Travailler à donner forme, pleinement, intensément, oblige à fouiller au plus profond de soi, dans les désirs les plus constitutifs de notre personne, dont l’épellation n’a été que partielle jusqu’à maintenant, et en former, en articuler, une superposition plausible au monde dans un lexique qui soit le mien. Plongée, amalgame, remontée : du nuage chargé de contraires, je sais qu’un texte, comme forme, saura in fine me trouver, même si je ne sais pas quand. En élan !
- (1) “Toute personne humaine est essentiellement un vœu, et sa vie se termine par l’explosion de sa vocation (…) La seule histoire d’une personne humaine, c’est l’émergence graduelle de son vœu secret à travers sa vie publique” – Louis Massignon, « Le vœu et le destin » (1956), Écrits mémorables I, Paris, Robert Laffont (« Bouquins »), via Françoise Bonardel, sur Henry Corbin et Gilbert Durand.
- En vigie, depuis mes étagères et la pensée : Enrique Vila-Matas, Harald Szeemann, Gilbert Lascault, Raymond Roussel (“La vue”), Jean-Jacques Wunenburger (“Le Combat est le père de toutes choses”, Variations, 2005) et Catherine Millet.
- Ajout : “Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.” (Vincent Kaufman “Déplacement“, via Anaïs)