Roland Barthes le jour
November 9, 2013 10:34 pm- in Xavier Boussiron et Arnaud Labelle-Rojoux “Le coeur du mystère”, Les Editions Particules, 2007
Nous travaillons actuellement à la constitution de Franz Buch (pour Französisches Buch), un cercle de lecteurs et d’idées à Berlin, de langue francophone.
L’idée est de former un circuit d’échanges et un foyer d’idées, ainsi qu’une bibliothèque et une librairie d’occasion en réseau avec des programmations, à des moments, de lectures et de conférences en plus de temps de rencontres réguliers.
Il s’agit aussi de faire ville autrement, par la création d’une communauté d’intérêts, ouverte à tous ceux qui le souhaitent ; de provoquer la rencontre plutôt que d’entretenir les grands libraires en ligne, et d’ouvrir un espace d’échanges qui ne soit ni institutionnel ni marchand. Le lancement est prévu pendant l’hiver, sous sa première forme.
Dans le cadre de sa communication, nous travaillons sur la réalisation d’une affiche qui reprendra une liste d’auteurs français ou d’expression française qui ont eu un grand impact sur notre pensée, notre manière d’envisager le monde.
Quels sont les auteurs français dont les lectures vous ont marqué, dont la pensée, l’imaginaire, ont eu un impact certain sur vous ?
Romanciers, philosophes, poètes, scientifiques, critiques, artistes…. l’essentiel étant qu’ils aient été publiés. Nous avons juste besoin des prénoms suivis des noms – une dizaine semble bien.
Nous travaillons, aussi, a un pendant de la liste en allemand (auteurs allemands ou d’expression allemande).
UN GARCON
Jean-Yves Jouannais est né à Montluçon en 1964. Etudiant en lettres à Poitiers, il fait partie de la société Perpendiculaire. Arrivé à Paris, il collabore à Art Press, en devient le rédacteur en chef, enseigne à Paris VIII et travaille pour une émission sur Arte tout en effectuant des recherches et en publiant des livres sur les artistes sans œuvres, le kitsch, le fiasco et l’idiotie. Il a également été le commissaire de plusieurs expositions.
Depuis 2008, il se concentre sur l’Encyclopédie des guerres, un projet sans artefact ni terme ni même de projet de publication, ayant pour objet la guerre et la littérature, et pour sujet lui même.
Il en présente, chaque mois, une entrée en public au Centre Georges Pompidou à Paris et à la Comédie de Reims. La prochaine séance parisienne aura lieu demain jeudi 17 octobre, et présentera l’entrée « Ignition ».
Elle est en entrée libre, et nous y serons / informations.
UN TRAVAIL
La boîte Jean-Yves Jouannais est un travail en cours sur l’expérience que nous pouvons avoir de certaines visions d’artistes, la façon dont elles entrent en résonance avec notre inénonçable, et active comme un champ magnétique aux échanges très rapides entre nous et la subjectivité de l’artiste, telle que nous nous la représentons, via le corpus de son œuvre et de ses déclarations.
La dynamique projective en jeu est constituée d’aller-retours de distances, d’intensités, différentes où, à chaque boucle, un constituant de notre personne bouge légèrement. De ce flux, de ce calage, certaines de nos intuitions deviennent moins diffuses, nous procurant de la force pour notre énonciation, l’établissement de notre propre paradigme.
Il est souvent le même à l’œuvre en amour – nous le pensons, en tous cas, avec mon amie Séverine. Roland Barthes aussi, semble-t-il (1).
UNE FORME
De cet ouvrage qui se passe et qui se fait, le texte – sous sa forme linéaire – me résiste. Présenté en critique de l’oeuvre de Jouannais, il échouerait par l’insincérité même de sa prise de position : l’objectivité sur l’œuvre, comme ce qui constitue ce que nous y projetons, est inatteignable. La fiction, elle, gonflerait la projection.
De là s’engage une lutte pour donner une forme propre, au plus près de la pureté des lignes de force qui nous traversent. Tous les cadres d’angles – points de vue, fonctions, intérêts – doivent être abandonnés et le cœur à nu arriver, dans sa plus grande possible vérité.
Dès lors, j’opte pour un objet et un texte, en cartes, travaillés avec le soin d’une œuvre, qui, si elle existe, n’est utilisée et liée que par moi, par la teneur que je lui donne dans son articulation même avec ma vie : une écriture en cartes et en boîte, donc, que mes mains puissent prendre, déplier, refermer – un lieu pour la pensée qu’à ouvert en moi Jean-Yves Jouannais (2).
UN POINT D’APPUI
Me poser la question de ce que représentent pour moi la pratique et la pensée de cet auteur, m’efforcer d’en extraire, étaler et analyser les tenants de leur influence, de la façon dont ils s’écrivent en moi, m’ouvre a une expérience proche de celle décrite par Borges dans « L’écriture du Dieu » dans “L’Aleph” (1952, page 86). Dans ce texte, un prisonnier accède au mystère du monde par la lecture, en faisceaux, de la peau d’un jaguar qui jouxte sa cellule.
Entrer dans la couture d’une œuvre, d’un énoncé, d’un sujet, s’efforcer d’en dilater puis d’en réduire les signes afin d’en reconstituer l’architecture invisible qui puisse lui permettre d’être par nous parcourue, est un mouvement qui pour moi dépasse l’esthétique et relève de la poïétique : l’œuvre ouvre un monde que nous créons et qui nous créé.
La pratique de Jean-Yves Jouannais et celles qu’elle ouvre, se déploient pour moi dans cet espace, dans ces faisceaux là (3).
UN IMPACT
Rarement un auteur aura eu impact aussi diffusé sur moi, au fil des années. De ma lecture d’« Artistes dans oeuvres » dès sa sortie à l’actuel dispositif de l’Encyclopédie, le parcours et la pensée de Jean-Yves Jouannais m’impressionnent autant qu’ils m’accompagnent.
Une recherche véritable, me semble-t-il, les anime, ainsi qu’une éthique qui prend la forme d’une grande exigence intellectuelle, suivant son propre paradigme.
Son œuvre, dans la forme à laquelle elle est arrivée, est puissante : elle est à la fois un geste qui puisse permettre son devenir-personnage, mais aussi de couvrir ses besoins plutôt que de courir ses désirs (4). Elle ne s’active qu’avec la vie, et invite à mieux vivre la nôtre.
La connaître enfin en performance, en parole, me procure une grande joie. Hâte d’être là !
NOTES
(1) Roland Barthes, “Fragments d’un discours amoureux”, Tel Quel / Seuil, 1977.
(2) En tête, la très belle dédicace d’ouverture de “Sens Unique” de Walter Benjamin : “Cette rue s’appelle RUE ASJA LACIS du nom de celle qui en fut l’ingénieur et la perça dans l’auteur”. Walter Benjamin, “Sens unique” précédé de “Une enfance berlinoise”, traduit de l’allemand par Jean Lacoste, édition revue, Maurice Nadeau, 2001, p. 137.
(3) « Une encyclopédie des guerres en elle-même n’a pas plus d’intérêt qu’un autre projet d’écriture, si ce n’est qu’ici, c’est une entreprise littéraire qui invente son auteur. Je suis littéralement inventé par cette écriture, et ça je le vérifie concrètement. ». Jean-Yves Jouannais, Entretien avec Jean-Charles Masséra, in “It’s Too Late to Say Littérature”, revue AH ! #10, éd. Cercle d’art, 2010
(4) « Au final, il s’agirait peut-être de trouver la solution pour continuer à jouir de la littérature en évitant de devenir écrivain. » Jean-Yves Jouannais, Entretien avec Jean-Charles Masséra, idem.
BIBLIOGRAPHIE
BONUS
En ce moment, nous sommes dans les maisons : établissement de Studio Walter, prise d’un atelier dans une paire de semaines, réaménagement du bureau Tippex en base-arrière de Franz Buch, le cercle littéraire, mais aussi, dans les semaines à venir, la retape de notre propre maison, avec l’aide de Chantal et de Corinne, la menuisière des étagères de la librairie Shakespeare and Co (photos). Tri de livres, listes de choses et tirages de plans : ça bosse. On revient bientôt !
Il existe des lieux spéciaux, uniques, qui offrent des expériences esthétiques et sensibles particulières. Dans ces espaces, nous nous projetons : par effet de réflexion, une poétique s’opère.
Ils peuvent être des jardins, des recoins, des passages, des architectures, des paysages comme des territoires. Ils n’existent parfois que dans l’imaginaire et la fiction, ou ne sont connus que d’un tout petit nombre.
Ces lieux résonnent : mis en circuit avec notre imaginaire, ils oeuvrent et provoquent l’intuition, offrant de nouvelles alvéoles d’expérimentation.
Ces lieux, ainsi que les espaces et les dynamiques d’individuation qu’ils ouvrent, sont les objets de la Collection Morel, une proposition sur les lieux, l’expérience sensible des lieux et l’espace de la pensée qui aura lieu à PointCulture Bruxelles, au mois de mai 2014.
Dans ce cadre, nous proposerons notamment une Bibliothèque des lieux uniques qui rassemblera des témoignages d’expériences de lieux. Les témoignages devront répondre à ces deux questions : Pourquoi ce lieu est-il unique ? Que s’est-il passé ?
Les participations doivent être sur format A4 recto simple, format portrait, et être accompagnées d’un titre. Elles peuvent comporter des images, comme être sur plusieurs feuillets, manuscrits ou tapuscrits, envoyés par messagerie ou par courrier. Elles doivent idéalement nous parvenir avant le 30 avril 2014, mais les dépôts resteront possibles après.
Collection Morel – contact@collection-morel.com
Association Disco-Babel, 24 avenue du Château, F-94300 Vincennes
Photo : Philippe Lebruman / Collection Morel
Collection Morel est un projet de Studio Walter
La belle bibliothèque de la Société Perpendiculaire in Rapport d’activités, Images Modernes, 2002