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Entrée Jean-Yves Jouannais

October 16, 2013 9:00 pm Published by

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UN GARCON

Jean-Yves Jouannais est né à Montluçon en 1964. Etudiant en lettres à Poitiers, il fait partie de la société Perpendiculaire. Arrivé à Paris, il collabore à Art Press, en devient le rédacteur en chef, enseigne à Paris VIII et travaille pour une émission sur Arte tout en effectuant des recherches et en publiant des livres sur les artistes sans œuvres, le kitsch, le fiasco et l’idiotie. Il a également été le commissaire de plusieurs expositions.

Depuis 2008, il se concentre sur l’Encyclopédie des guerres, un projet sans artefact ni terme ni même de projet de publication, ayant pour objet la guerre et la littérature, et pour sujet lui même.

Il en présente, chaque mois, une entrée en public au Centre Georges Pompidou à Paris et à la Comédie de Reims. La prochaine séance parisienne aura lieu demain jeudi 17 octobre, et présentera l’entrée « Ignition ».

Elle est en entrée libre, et nous y serons / informations.

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UN TRAVAIL

La boîte Jean-Yves Jouannais est un travail en cours sur l’expérience que nous pouvons avoir de certaines visions d’artistes, la façon dont elles entrent en résonance avec notre inénonçable, et active comme un champ magnétique aux échanges très rapides entre nous et la subjectivité de l’artiste, telle que nous nous la représentons, via le corpus de son œuvre et de ses déclarations.

La dynamique projective en jeu est constituée d’aller-retours de distances, d’intensités, différentes où, à chaque boucle, un constituant de notre personne bouge légèrement. De ce flux, de ce calage, certaines de nos intuitions deviennent moins diffuses, nous procurant de la force pour notre énonciation, l’établissement de notre propre paradigme.

Il est souvent le même à l’œuvre en amour – nous le pensons, en tous cas, avec mon amie Séverine. Roland Barthes aussi, semble-t-il (1).

UNE FORME

De cet ouvrage qui se passe et qui se fait, le texte – sous sa forme linéaire – me résiste. Présenté en critique de l’oeuvre de Jouannais, il échouerait par l’insincérité même de sa prise de position : l’objectivité sur l’œuvre, comme ce qui constitue ce que nous y projetons, est inatteignable. La fiction, elle, gonflerait la projection.

De là s’engage une lutte pour donner une forme propre, au plus près de la pureté des lignes de force qui nous traversent. Tous les cadres d’angles – points de vue, fonctions, intérêts – doivent être abandonnés et le cœur à nu arriver, dans sa plus grande possible vérité.

Dès lors, j’opte pour un objet et un texte, en cartes, travaillés avec le soin d’une œuvre, qui, si elle existe, n’est utilisée et liée que par moi, par la teneur que je lui donne dans son articulation même avec ma vie : une écriture en cartes et en boîte, donc, que mes mains puissent prendre, déplier, refermer – un lieu pour la pensée qu’à ouvert en moi Jean-Yves Jouannais (2).

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UN POINT D’APPUI

Me poser la question de ce que représentent pour moi la pratique et la pensée de cet auteur, m’efforcer d’en extraire, étaler et analyser les tenants de leur influence, de la façon dont ils s’écrivent en moi, m’ouvre a une expérience proche de celle décrite par Borges dans « L’écriture du Dieu » dans “L’Aleph” (1952, page 86). Dans ce texte, un prisonnier accède au mystère du monde par la lecture, en faisceaux, de la peau d’un jaguar qui jouxte sa cellule.

Entrer dans la couture d’une œuvre, d’un énoncé, d’un sujet, s’efforcer d’en dilater puis d’en réduire les signes afin d’en reconstituer l’architecture invisible qui puisse lui permettre d’être par nous parcourue, est un mouvement qui pour moi dépasse l’esthétique et relève de la poïétique : l’œuvre ouvre un monde que nous créons et qui nous créé.

La pratique de Jean-Yves Jouannais et celles qu’elle ouvre, se déploient pour moi dans cet espace, dans ces faisceaux là (3).

UN IMPACT

Rarement un auteur aura eu impact aussi diffusé sur moi, au fil des années. De ma lecture d’« Artistes dans oeuvres » dès sa sortie à l’actuel dispositif de l’Encyclopédie, le parcours et la pensée de Jean-Yves Jouannais m’impressionnent autant qu’ils m’accompagnent.

Une recherche véritable, me semble-t-il, les anime, ainsi qu’une éthique qui prend la forme d’une grande exigence intellectuelle, suivant son propre paradigme.

Son œuvre, dans la forme à laquelle elle est arrivée, est puissante : elle est à la fois un geste qui puisse permettre son devenir-personnage, mais aussi de couvrir ses besoins plutôt que de courir ses désirs (4). Elle ne s’active qu’avec la vie, et invite à mieux vivre la nôtre.

La connaître enfin en performance, en parole, me procure une grande joie. Hâte d’être là !

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  • Jean-Yves Jouannais, Encyclopédie des guerres, entrée “Ignition”, jeudi 17 octobre, 19h, petite salle / Centre Georges Pompidou, entrée libre / informations
  • Photos : Boîte Jean-Yves Jouannais, travail en cours (extraits) – Studio Walter 2013

NOTES

(1) Roland Barthes, “Fragments d’un discours amoureux”, Tel Quel / Seuil, 1977.

(2) En tête, la très belle dédicace d’ouverture de “Sens Unique” de Walter Benjamin : “Cette rue s’appelle RUE ASJA LACIS du nom de celle qui en fut l’ingénieur et la perça dans l’auteur”. Walter Benjamin, “Sens unique” précédé de “Une enfance berlinoise”, traduit de l’allemand par Jean Lacoste, édition revue, Maurice Nadeau, 2001, p. 137.

(3) « Une encyclopédie des guerres en elle-même n’a pas plus d’intérêt qu’un autre projet d’écriture, si ce n’est qu’ici, c’est une entreprise littéraire qui invente son auteur. Je suis littéralement inventé par cette écriture, et ça je le vérifie concrètement. ». Jean-Yves Jouannais, Entretien avec Jean-Charles Masséra, in “It’s Too Late to Say Littérature”, revue AH ! #10, éd. Cercle d’art, 2010

(4) « Au final, il s’agirait peut-être de trouver la solution pour continuer à jouir de la littérature en évitant de devenir écrivain. » Jean-Yves Jouannais, Entretien avec Jean-Charles Masséra, idem.

BIBLIOGRAPHIE

  • Collectif, “La Société Perpendiculaire, Rapport d’activités”, Images Modernes, 2002
  • Collectif, « Les grands entretiens d’Art Press : Harald Szeeman », Art Press, 2013
  • Jean-Yves Jouannais, « Artiste sans œuvres (I would prefer not to) », Hazan, 1997.
  • Jean-Yves Jouannais, « Jésus Hermès Congrès », Verticales, 2001
  • Jean-Yves Jounnais, « L’humiliation des théories », Magazine Littéraire « Philosophie et Art –
    La fin de l’esthétique ? », coordination Elie During, Novembre 2002
  • Jean-Yves Jouannais « L’Idiotie. Art. vie. politique – méthode », Editions Beaux-Arts Magazine livres, 2003
  • Jean-Yves Jouannais, « Encyclopédie des guerres », Centre Georges Pompidou, depuis 2008.
  • Jean-Yves Jouannais « L’Usage des ruines. Portraits obsidionaux », Verticales, 2012

BONUS